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Etat de droitAllemagne

La justice se prononce sur la surveillance de l'AfD

Sandrine Blanchard | Marcel Fürstenau
12 mars 2024

En Allemagne, un tribunal doit examiner le recours de l'AfD contre sa mise sous surveillance au nom de son glissement vers l'extrême-droite.

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Un panneau indique l'entrée de la Cour administrative supérieure de Münster (archive)
La Cour administrative supérieure de Münster devrait se prononcer au terme de deux jours d'audienceImage : Guido Kirchner/dpa/picture alliance

En Allemagne, les renseignements intérieurs fédéraux surveillent le parti populiste de droite AfD- Alternative für Deutschland, qui signifie l'Alternative pour l'Allemagne, en raison de ses prises de position radicales, notamment contre les étrangers, qui peuvent l'assimiler à un parti d'extrême droite. Et donc le menacer d'interdiction.

Depuis 2021, les services de renseignement peuvent ainsi lire la correspondance des membres du parti, les mettre sur écoute et même placer des taupes parmi les militants. Ces mesures déplaisent à l'AfD, qui a porté plainte contre cette surveillance. Et à partir de ce mardi [12.03.24], un tribunal de Münster se penche sur cette plainte et devrait statuer au bout de deux jours d'audiences.

Une longue procédure

Ce n'est pas la première fois que l'AfD et le Verfassungsschutz, les services du renseignement intérieur (BfV, Protection de la Constitution), se donnent rendez-vous au tribunal.

A chaque fois, il est question du degré de surveillance admis à l'encontre du parti. Depuis 2021, l'AfD conteste en effet son glissement vers l'extrême-droite et de devoir, à ce titre, être surveillée de près par les services fédéraux.

Rolf Weigand, député AfD, lors d'un meeting à Cottbus en 2019
L'AfD conteste la surveillance mise en place par le VerfassungsschutzImage : Patrick Pleul/dpa/picture alliance

L'AfD a remporté un premier procès, en 2021, devant le tribunal administratif de Cologne. Le parti avait alors protesté contre la qualification de "parti d'extrême-droite". Le tribunal avait donné raison au parti, en arguant que le terme, repris par la presse, portait "atteinte de manière injustifiable à l'égalité des chances des partis politiques, garantie par la Constitution". Le tribunal de Münster doit donc instruire la procédure de révision.

"Cas suspect"

L'AfD a été classée comme "cas suspect" à la suite de la radicalisation constatée par les renseignements intérieurs. Auparavant, le parti n'était qu'un "cas d'examen". Ce qui signifiait que seules les sources librement accessibles pouvaient être exploitées afin d'évaluer le danger potentiel de l'AfD pour la démocratie.

Concrètement, les services du renseignement intérieur ne pouvaient donc, à ce stade précoce, que lire des articles dans les journaux et sur les sites internet en ligne, regarder des reportages télévisés et des vidéos et écouter les discours publics des députés de l'AfD au Parlement et lors des congrès du parti. Ce que le Verfassungsschutz a enregistré dans ce cadre lui a donc suffi pour faire passer l'AfD au rang de cas suspect.

Symbolfoto Bundesamt für Verfassungsschutz
Image : Christoph Hardt/Geisler-Fotopress/picture alliance

Désormais, les services du renseignement intérieur sont autorisés à cibler le parti et des individus : ils peuvent recruter des indicateurs au sein de l'AfD et de son entourage pour récolter des informations confidentielles et, sous certaines conditions, intercepter les télécommunications du parti.

"Parti extrémiste de droite avéré" ?

Si l'AfD obtient gain de cause avec son recours devant la Cour administrative supérieure de Münster, cette surveillance sera annulée. Cependant, tout porte à croire que le renseignement intérieur ira plus loin dans un avenir proche et classera l'AfD comme structure "extrémiste de droite avérée", comme l'ont déjà fait les Länder de Thuringe, de Saxe et de Saxe-Anhalt.

Le rapport, publié en janvier 2024 par le collectif de recherche "Correctiv", pourrait servir de base à cela. Ce rapport révélait la tenue d'une réunion d'extrémistes de droite à Potsdam, au cours de laquelle il aurait été question de projets de déportation par millions de personnes d'origine étrangère.

Outre des politiciens de l'AfD, des chrétiens-démocrates archi-conservateurs (CDU) et des industriels ont participé à cette réunion.

Manifestation à Hambourg. Des manifestants brandissent une banderole "Ensemble pour la démocratie"
Depuis la publication de l'enquête de Correctiv, de nombreuses manifestations ont été organisées en Allemagne contre l'extrême-droite et pour la protection de la démocratieImage : Axel Heimken/dpa/picture alliance

Le classement comme organisation "extrémiste de droite avérée" permet au renseignement intérieur de mettre en place une surveillance plus étroite encore. Il entrerait également en ligne de compte comme argument pour une éventuelle procédure d'interdiction du parti.

Vers une éventuelle interdiction

Cette interdiction ne peut être justifiée, selon la Cour constitutionnelle, que s'il existe des "indices réels" qu'un parti a l'intention d'attaquer et d'éliminer l'ordre constitutionnel libéral et démocratique.

C'est, en dernier lieu à la Cour constitutionnelle fédérale de décider de l'interdiction d'un parti.

Le gouvernement fédéral, le Bundestag et le Bundesrat, au sein duquel les 16 Länder sont représentés, sont habilités à déposer une demande. L'initiative pourrait venir du plus petit Land d'Allemagne, la ville-Etat de Brême.

En revanche, la majorité de la population allemande serait sceptique. Selon un sondage de février dernier mené par le Deutschlandtrend, 51 % des Allemands seraient opposés à une procédure d'interdiction de l'AfD.

Une autre possibilité pour affaiblir l'AfD serait de l'exclure du financement public des partis. Avec les cotisations et les dons, il s'agit en effet de la principale source de revenus pour la plupart des formations politiques.

Les avis des experts divergent toutefois tout autant sur la possibilité de couper les vivres à l'AfD que sur les chances de succès d'une procédure d'interdiction.