La diaspora syrienne a manifesté sa joie dans les rues de Berlin et d'autres villes allemandes à l'annonce de la prise de Damas, le 8 décembre.
"C'est un sentiment indescriptible, et je ne peux pas l'exprimer parce que c'est une blessure dans le cœur qui était profonde, et aujourd'hui elle est guérie !", confie un manifestant, visiblement ému.
Un autre renchérit : "Nous avons toujours l'impression de rêver. Nous n'arrivons pas à croire que nous avons libéré la Syrie du régime de Bachar el-Assad et des milices iraniennes !"
Premiers appels au retour de Syriens
Pendant que la rue jubilait et à peine la chute de Bachar al-Assad était-elle confirmée que déjà, les premières déclarations sur le retour des réfugiés syriens dans leur pays fusaient en Allemagne.
Le coup d'envoi a été donné dès dimanche par le parti d'extrême-droite AfD. Alice Weidel, tout juste nommée candidate à la chancellerie par son parti pour les élections législatives anticipées de février prochain, a posté sur X que ceux qui célèbrent la "Syrie libre" n'avaient manifestement plus de raison de rester en Allemagne et devraient "rentrer immédiatement dans leur pays".
Ni ce positionnement, ni la rapidité de réaction de l'AfD n'étonnent l'historien Dieter Gosewinkel, professeur à l'Université libre de Berlin. Il rappelle le contexte historique de l'arrivée de nombreux Syriens en Allemagne.
"L'entrée des réfugiés syriens en Allemagne en 2015-2016 a été le point le plus important pour ce grand débat sur l'immigration en Allemagne qui persiste jusqu'à aujourd'hui. Beaucoup de gens l'appellent la ‘crise migratoire’, déclenchée par le grand nombre de Syriens qui entraient en Allemagne, admis par la chancelière de l'époque, Angela Merkel."
Un million et demi de réfugiés qui, selon Dieter Gosewinkel, symbolisaient la question : "Est-ce qu'on veut faire entrer les réfugiés en Allemagne en masse ? Et c'est le point politique qui a fait grandir l'AfD."
Un débat prématuré selon le gouvernement
A l'autre extrémité de l'échiquier politique, la dirigeante du BSW, Sahra Wagenknecht, dont le parti est issu d'une scission de la gauche radicale, a elle aussi réclamé le départ d'Allemagne des Syriens qui ont célébré la prise du pouvoir par les rebelles islamistes, mettant en garde contre une nouvelle république islamiste en Syrie.
Chez les conservateurs de la CDU, c'est Jens Spahn, ancien ministre de la Santé d'Angela Merkel, qui a dégainé le premier. Dans une interview à la chaîne ntv, il a proposé d'affréter des charters et de donner mille euros aux réfugiés syriens désireux de rentrer dans leur pays.
Le ministre de l'Intérieur bavarois, du parti frère CSU, a quant à lui tempéré en rappelant qu'il n'était pas question de renvoyer des Syriens "bien intégrés"... tandis que des ministres socio-démocrates et verts de l'ex-coalition gouvernementale ont appelé à ne pas instrumentaliser la question des réfugiés à des fins électoralistes.
Ce Syrien interrogé lors de la manifestation du 8 décembre à Berlin n'a pas l'intention de rentrer pour l'instant en Syrie.
"Pour ce qui est de rentrer, oui, bien sûr. Je pense que tout le monde veut revoir son pays ou rendre visite à sa famille. Et dans un avenir lointain, si Dieu le veut, ce sera un pays avec un état civil et non gouverné par des forces militaires..."
Des statuts différents selon les réfugiés
Neuf ans après la vague d'arrivées de 2015-2016, il reste un peu moins d'un million de réfugiés syriens en Allemagne.
Leur statut juridique n'est pas le même pour tous : tandis que plus de la moitié possèdent un titre de séjour pour raisons humanitaires, d'autres sont "tolérés", c'est à dire que leur statut juridique n'est pas clair et que leur séjour est autorisé temporairement seulement, avec un accès limité au marché du travail.
Plus de 160.000 Syriens ont également demandé et obtenu la nationalité allemande (chiffres de fin 2023).
"Le degré d'intégration des Syriens est considérable", souligne Dieter Gosewinkel. "Mais il y a quand même, et ça c'est le grand problème, à peu près un million de gens d'origine syrienne en Allemagne, dont 700.000 qui n'ont pas de statut permanent, qui n'ont qu'un statut d'après la convention de Genève. Normalement ils n'ont pas un droit au séjour permanent en Allemagne. Qu'est ce qu'on fait avec eux ? Est-ce qu'on leur offre une autre possibilité de rester en Allemagne, en ne les regardant plus comme réfugiés ? Où est-ce qu'on veut les faire partir ? C'est la grande question politique qui est posée. Et la droite, l'extrême droite, AfD et la droite réagissent d'une manière différente que les sociaux-démocrates et les Verts."
En 2024, les Syriens représentaient toujours le premier groupe de demandeurs d'asile. Sur 75.000 dossiers déposés entre janvier et novembre, environ 47.000 sont encore en attente.
Gel des procédures d'asile
Et ils risquent de le rester : l'Office fédéral pour la Migration et les Réfugiés (BAMF) a annoncé lundi suspendre le traitement des demandes en attendant que la situation se clarifie en Syrie.
Explications de Sonja Kock, porte-parole du ministère de l'Intérieur, lors d'un point de presse à Berlin :
"L'Office examine très attentivement la situation au cas par cas, ce qui inclut une évaluation de la situation sur place, dans le pays d'origine de la personne. Nous sommes donc en train de « rétro-hiérarchiser » les décisions d'asile, comme nous l'appelons dans le jargon. C'est une possibilité dont dispose l'Office lorsque la situation n'est pas claire, et nous avons expliqué en détail que la situation en Syrie n'est pas claire actuellement. Cela signifie que les décisions d'asile sont pour l'instant renvoyées au bas de la pile et que d'autres décisions d'asile sont prioritaires."
L'Allemagne n'est pas la seule à prendre cette décision puisque les gouvernements autrichien, suédois, danois, norvégien, belge, britannique, suisse et néerlandais ont également gelé les procédures de demandes d'asile.
Des mesures d'ailleurs dénoncées par Amnesty International qui y voit un "signal totalement erroné".
Un tournant "historique" pour la migration en Europe ?
Dans une interview au magazine Stern, le chercheur sur la migration Gerald Knaus estime toutefois que la chute du régime Assad pourrait être un tournant historique pour la situation des réfugiés en Europe.
Selon lui, les demandes d'asile en Allemagne et dans les autres pays européens vont probablement diminuer et cela pourrait "changer dramatiquement et positivement la politique en Europe", à savoir couper l'herbe sous le pied des partis de droite dont la lutte contre la migration est le fond de commerce.
Un point de vue que partage l'historien Dieter Gosewinkel, mais jusqu'à un certain point. Il estime qu'il "faut vraiment attendre de voir ce qui va se passer en Syrie". "Ce sont peut-être les anciens du gouvernement Assad qui vont demander asile en Allemagne parce qu'ils pourraient être poursuivis politiquement et en principe pourraient avoir aussi droit à l'asile".
Le clan du président syrien déchu fait l'objet d'actions en justice dans plusieurs pays, dont l'Allemagne. Il n'est donc pas certain que ce pays soit le premier choix pour une nouvelle vague de réfugiés issue de l'ancien pouvoir.
Le président des communautés de communes allemandes, Achim Brötel, réclame des contrôles renforcés aux frontières pour empêcher les partisans de l'ancien régime de se réfugier en Allemagne, et ainsi pouvoir "rencontrer les familles de leurs victimes".
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L'île de La Réunion face à son passé colonial
Dans les départements et territoires français d'outre-mer, le débat de la mémoire de l'histoire coloniale est encore vif. Avec cette question : comment concilier la préservation de l’histoire et la reconnaissance des souffrances liées à la colonisation ?
À La Réunion, les vestiges du passé colonial sont présents un peu partout : anciennes plantations, statues de figures historiques -parfois esclavagistes, bâtiments administratifs d’époque...
Ces lieux de mémoire soulèvent des questions complexes et parfois douloureuses, tant pour les habitants de l’île que pour ses visiteurs. Le reportage sur place, dans l’Océan Indien, de Clément Buzalka.
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