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MondialisationEurope

Le cobalt de RDC, une nécessité pour l'UE

Philipp Sandner | Anne Le Touzé
27 décembre 2024

Les besoins en matières premières de l'Europe ont placé la RDC dans une meilleure position de négociation. Mais tandis que Bruxelles souhaite des approvisionnements sûrs, les réalités sur le terrain sont tout autres.

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Mine de COMMUS, à Kolwezi, RDC
Les mines industrielles à ciel ouvert, mais aussi les petites mines, sont nombreuses dans la région de Kolwezi - mais l'Europe est loin d'être leur principal clientImage : Johannes Meier/streetsfilm

Bruxelles, été 2024. Dans un bureau du Parlement européen, la députée française Marie-Pierre Vedrenne, du groupe parlementaire libéral Renew Europe, expose sa position sur la politique européenne des matières premières. "La France, l'Allemagne, l'ensemble des Etats de l'Union européenne doivent agir ensemble dans une logique de créer des approvisionnements sûrs et durables", explique l'eurodéputée.

Selon elle, il faut que les méthodes d'extraction répondent à la vision et aux ambitions européennes, "c'est-à-dire ne pas piller les ressources et faire en sorte que des enfants ne travaillent pas dans des conditions abominables".

Marie-Pierre Vedrenne, eurodéputée
La députée européenne Marie-Pierre Vedrenne estime que l'Europe a besoin de cobalt, mais qu'il doit être extrait sans exploiter des humainsImage : Johannes Meier/streetsfilm

7.000 kilomètres plus au sud, près de la ville minière de Kolwezi, dans le sud de la République démocratique du Congo. Paul Zagabe Banze travaille dans une mine de cuivre et de cobalt. Casquette de baseball vissée sur la tête pour se protéger du soleil brûlant, il tient deux morceaux de minerai dans la main.

Ici, le travail se fait à la main, et les sacs de 50kg se portent sur le dos. L'équipe de la DW ne voit aucun enfant sur le site. "Le travail de ce cuivre, nous, les mineurs, nous ne savons pas à quoi il sert. Ce sont les Blancs qui l'achètent. Nous le vendons, mais nous ne savons pas ce qu'ils en font", témoigne le mineur.

La RDC leader de la production de cobalt 

Tout un monde sépare les reliefs couverts de poussière rouge des sites miniers congolais et les couloirs climatisés du cœur politique de l'Europe... Le pont qui relie ces deux univers, ce sont les matières premières.

Paul Gazabe Nbanze, mineur à Kolwezi
Paul Zagabe Banze nourrit sa famille grâce à son travail à la mine de KolweziImage : Johannes Meier/streetsfilm

Le cobalt, qui est un composant des batteries électriques, est un matériau essentiel pour la transition énergétique dont l'Europe a fait son cheval de bataille, avec la promesse d'atteindre la neutralité climatique d'ici à 2050.

La RDC produit les deux tiers de ce minerai, le niveau de la production mondiale de cobalt dépend donc en large partie du pays. Après un creux de 800 tonnes en 1994, le volume a plus que centuplé pour atteindre 98.000 tonnes en 2020, tandis que le rendement dans le reste du monde a seulement doublé.

L'Europe demande, le Congo offre - une équation qui paraît simple à première vue.

Sauf que ce n'est pas le cas, comme l'explique Cecilia Trasi, analyste des questions d'énergie et de climat au sein du think tank européen Bruegel : "La majorité du cobalt mondial se trouve au Congo, mais les trois quarts sont traités en Chine, ce qui signifie que pour utiliser le cobalt, il faut aller en Chine, ce qui, dans l'état actuel des choses, peut poser problème."

La Chine maîtrise la chaîne de valeur des matières premières

L'eurodéputée Marie-Pierre Vedrenne est consciente du problème et plaide une fois encore pour une action commune des Européens. "On a un intérêt européen à agir ensemble", insiste l'eurodéputée, "parce que le pays qui maîtrise l'entièreté de la chaîne de valeur des matières premières, l'extraction, la transformation, l'industrialisation, le recyclage, jusqu'à présent, c'est la Chine."

Elle dénonce "des méthodes souvent de prédation, notamment en République Démocratique du Congo ou dans d'autres États" ainsi que "la volonté de ne pas faire transformer la valeur et créer de la valeur sur place en Afrique, alors que ça doit être un enjeu qu'on doit partager avec les Africains."

Ainsi, les acteurs européens apparaissent à peine dans la ceinture de cuivre du Congo. Au lieu de cela, le cobalt arrive en Europe par le marché mondial, après avoir été raffiné en Chine et cinq ou six étapes intermédiaires, selon les estimations de Cecilia Trasi.

Cecilia Trasi, analyste au think tank Bruegel
La Chine est un acteur incontournable, selon Cecilia TrasiImage : Johannes Meier/streetsfilm

Pour Simon Tuma Waku, il est tout à fait logique que les pays européens ne soient pas les partenaires de choix de la RDC. L'ancien ministre des Mines, qui a mis en place en 2002 le premier code minier du pays, après des années de guerre, compare la relation entre les pays africains et les anciennes puissances coloniales avec de jeunes adultes qui veulent s'émanciper de leurs parents.

"C'est ce qui se passe aujourd'hui : tous les pays africains disent, oui, nous avons été colonisés. Maintenant, vous devez prendre en compte nos sentiments, nos désirs. Apportez de l'argent ou autre chose, mais ne nous imposez pas ce que vous pensez être bon pour nous. Demandez-nous : que voulez-vous faire ? Et nous vous dirons quoi faire avec l'argent."

La République démocratique du Congo consciente de sa valeur

L'attention portée aux matières premières du Congo ne date pas d'hier. Il y a plus de cent ans, des esclaves exploitaient du caoutchouc pour les besoins européens dans la colonie privée de Léopold, roi des Belges, dans des conditions inhumaines.

Après l'indépendance, le dictateur Mobutu Sese Seko a instauré un système dans lequel la nationalisation, le manque d'investissements et le népotisme galopant ont laissé peu de place aux bénéfices. Conséquence : la production a chuté.

C'est seulement sous Joseph Kabila, prédécesseur de l'actuel président Félix Tshisekedi, que des efforts ont été entrepris pour réguler le secteur, attirer des entreprises importantes et même coopérer avec la Zambie - avec l'objectif de se lancer à son tour dans la production de batteries. Interrogé en marge d'une foire minière à Lubumbashi, l'ancien ministre des Mines Simon Tuma Waku se félicite de cette évolution :

La Chine est leader dans la transformation des minerais congolais 
Les affaires sont florissantes - les entreprises et les acheteurs chinois sont les premiers bénéficiairesImage : Johannes Meier/streetsfilm

"Nous avons pris une décision cruciale en ouvrant le secteur minier aux investisseurs privés, parce qu'il était en train de s'effondrer et l'Etat ne pouvait pas tirer de revenus importants du secteur minier."

Devenu aujourd'hui homme d'affaires, Simon Tuma Waku est fier de constater que son code minier de 2002 a marqué le point de départ de la relance du secteur.

Entretemps, une nouvelle version du code minier est entrée en vigueur en 2018. Elle met l'accent sur la compatibilité environnementale du secteur minier.

Difficile contre-offensive de l'Europe face à la Chine

En y regardant de près, on peut trouver des traces de l'intervention européenne au Congo. Le corridor de Lobito, un grand projet d'infrastructures, doit relier la ville de Kolwezi à l'Angola, de nouvelles routes et lignes électriques sont construites. Il doit permettre de relier plus facilement la RDC à l'Océan Atlantique et donc à l'Europe - une part d'autonomie de plus pour le Congo.

Depuis Bruxelles, Jutta Urpiliainen s'est beaucoup investie dans la relation UE/Afrique.

"Le monde dans lequel nous vivons est très interdépendant. Ainsi, ce qui se passe en Afrique a également un impact sur nos vies en Europe", souligne la commissaire européenne chargée des partenariats internationaux.

Elle estime que l'Europe est isolée sur le plan géopolitique. Avec la Global Gateway Initiative, une contre-initiative européenne à la Nouvelle Route de la Soie chinoise, l'UE et ses partenaires ont toutefois enregistré des succès. La "Team Europe" investit surtout dans des projets stratégiques tels que le corridor de Lobito.

"Il est important d'investir dans la coopération pour le développement et dans les partenariats internationaux", affirme la commissaire qui souhaite que l'Europe "reste championne de la finance climatique, du développement humain, des investissements mondiaux. Ainsi, nous ne tournons pas le dos à l'Afrique ni au reste du monde, tout en investissant beaucoup dans notre propre continent et sa sécurité."

Du cobalt raffiné
Le cobalt reste un produit très demandé, quelles que soient les conditions de travail et les conséquences environnementalesImage : Johannes Meier/streetsfilm

Malgré tous ses efforts, l'UE ne peut pas devenir le partenaire numéro un de la République démocratique du Congo. La Chine se taille la part du lion, d'autres pays se positionnent...  Et les puissants des provinces et des grandes entreprises sont loin de jouer selon les règles des anciennes puissances coloniales.

Les progrès du nouveau code minier sont pour l'instant seulement sur le papier : selon des ONG locales, le gouvernement ne semble pas pressé d'appliquer sa propre loi...

Dans la mine de Kolwezi, Paul Zagabe Banze se dit satisfait. Il vit bien avec sa femme et ses quatre enfants. Le compte est bon - avec la force que Dieu lui accorde.

Avec la participation de Jan-Philipp Scholz, Johannes Meier, Kahozi Kosha

Deutsche Welle Anne Le Touzé
Anne Le Touzé Journaliste au programme francophone de la DWnanetouz